La comédie (non)bienveillante en entreprise : la rémunération




Les professionnels du monde de l'entreprise parlent beaucoup de bien-être, de bonheur au travail, de bienveillance. Comment reconnaître cette bienveillance en entreprise ? C'est une question que je me suis d'ailleurs posée...

Au nom de cette bienveillance, beaucoup de choses sont dites et faites en milieu professionnel. L'absurdité n'est jamais très loin.
Au nom de la bienveillance, certains veulent vous faire gober des théories. Ils redéfinissent la notion de bienveillance afin de servir leurs intérêts les plus sombres.
Au nom de la bienveillance, le débat est faussé. Il ne porte pas sur les vraies questions. Certains professionnels arrivent à vous faire croire que le plus important c'est d'avoir chaque matin un Chief Happiness Officer qui vous souhaite "Bonne journée Pascal !". Avec le sourire !

Je pense sincèrement que l'entreprise crée de la non-bienveillance. Oui vous avez bien lu. Je vous explique... L'entreprise - ou plutôt les êtres humains qui la composent - crée et promeut une force qui n'est pas du tout bienveillante. J'ai nommé l'hypocrisie.
Elle me fait tellement penser au vaccin H1N1 dont on vantait les mérites H24 en 2009. Ça ne peut faire que du bien à tout le monde, n'est-ce pas ?

Professionnelle 1 bienveillante : "Chut ! Ne parle pas de ce genre de sujet ici. C'est intéressant ce que tu dis mais ça ne doit pas arriver aux oreilles du manager. Tu veux te faire virer ou quoi ?"

Professionnel 2 bienveillant : "Mon entreprise fonctionne comme une famille. J'aimerais bien faire entendre ma voix mais je ne veux pas fragiliser ces bonnes vibes. Alors je me tais. C'est pour le bien-être du collectif !"

Professionnel 3 bienveillant : "Je comprends vos propos mais je ne peux les prendre en considération. Nous sommes en entreprise. Il y a des normes, des traditions, des règles internes, une hiérarchie à respecter. Vous ne pouvez pas débarquer comme ça et vouloir tout changer du jour au lendemain !"


L'hypocrisie est censée nous protéger, nous épargner des déceptions. Elle est censée nous faire du bien. Tellement de personnes en sont convaincues...

Vous imaginez une journée de travail où tout le monde dirait ce qu'il pense ? Un cauchemar, invivable... La jungle ! Tu imagines, toi, un monde professionnel où l'on parlerait sans hypocrisie de money, money, money et d'argent sans tabou ?




Réalité (non)bienveillante n°1

L'argent, ça n'est pas le plus important !





Expliquez-moi, comment peut-on parler d'entreprise bienveillante alors que les salariés ne peuvent s'exprimer librement sur le sujet de l'argent ? Un exemple très parlant : l'entretien de recrutement.

RH gentille : "Nous avons longuement discuté. Maintenant que vous en savez plus sur notre société, avez-vous d'autres questions avant de clore l'entretien ?"

Candidat innocent : "Oui. Pouvez-vous me dire quelle rémunération avez-vous fixé pour ce poste ?"

RH gentille : "Nous n'avons pas défini de chiffre précis pour le moment. C'est un peu prématuré de poser la question au premier entretien."

Candidat innocent : "C'est une information importante qui me permet de savoir si mes prétentions salariales sont en cohérence avec votre poste. Vous n'avez pas une petite idée du budget prévisionnel arrêté pour ce poste ?"

RH gentille : "Vous avez l'air très attaché à la rémunération. Vous n'avez que cette motivation ?"

En fait, je m’en fous complètement de la rémunération ! Je vais faire une grève de la faim, adopter la tenue d'Adam ou d'Eve. Ce n'est pas grave, je pourrai voir vos beaux yeux, c'est ce qui compte hein ! Allez osez et dites ce que vous pensez réellement au prochain recruteur qui vous fait cette remarque. Pour une fois l'hypocrisie serait mise au placard...

La satisfaction professionnelle commence avec un bon salaire mais nous nous comportons comme des personnes sourdes et aveugles. Pas question de l'entendre, ni de le voir.



Quoi ? La rémunération ? Non non je ne veux pas l' (a)voir !

L'argent, un sacré sujet qui nous préoccupe tous. Pour se nourrir de produits bio, se vêtir en Levi's, dormir sous un toit, se cultiver, voir la mer à l'autre bout du monde... Que vous ayez des goûts simples ou sophistiqués, l'argent est essentiel à nos vies. 

Nous travaillons avant tout pour avoir de l'argent. Ce n'est peut-être pas l'élément numéro 1 qui déterminera nos choix professionnels. Franchement, si j'avais voulu gagner énormément d'argent, j'aurais été trader. Mais ce métier ne m'intéresse pas. Ils n'intéressent pas non plus ces travailleurs qui ont dit NON à leur poste de cadre, leur CDI et leur joli salaire pour faire de l'artisanat.
L'argent ne fait pas tout. Mais il fait beaucoup de bien ! La rémunération reste un élément déterminant dans cette quête de bien-être au travail. Ces anciens cadres et nouveaux artisans ont quitté un salaire confortable non pas pour se contenter de 1000 euros par mois. Ils ont tous pour espoir d'augmenter leur salaire ou chiffre d'affaires avec le temps. Donc arrêtons l'hypocrisie s'il vous plaît !

L'entreprise a réussi à nous faire croire que le salaire et les primes ne comptent plus. Non ce qui importe c'est le team building avec l'équipe et le téléphone portable de fonction dernier cri.

Une question : pourquoi ne pas abandonner nos jobs pour faire du bénévolat si l'argent importe peu ?





Réalité (non)bienveillante n°2

L'argent, un levier de reconnaissance ? 

Pour quoi faire ?




 
Qui dit bienveillance dit considération pour l'autre. 
Qui dit bienveillance dit reconnaissance pour le salarié. Reconnaissance pour le travail effectué, les efforts réalisés, les concessions faites. Il arrive que les salariés s'engagent à 300% dans leurs projets jusqu'à sacrifier des moments de bonheur avec leur famille. Jusqu'à négliger leur santé physique et mentale. Jusqu'à rendre possible l'impossible. Travailler toute une nuit sur un dossier confié à la dernière minute ou travailler pendant son congé maladie, ça vous parle ?

Ça vous est déjà arrivé ? Avouez !


Vous êtes beaucoup dis donc.. Y a trop de mains levées, je n'peux pas compter !


Toute personne normalement constituée apprécierait des marques de reconnaissance pour tout cet investissement dans un travail. La reconnaissance professionnelle passe avant tout par une revalorisation salariale. 89% des cadres interrogés estiment que le premier levier de reconnaissance est la revalorisation salariale (salaires, primes et bonus). C'est pas moi qui le dit, c'est l'APEC.

L'argent est donc le meilleur levier de reconnaissance. Et par la même occasion un excellent levier de motivation et de fidélisation. Pourtant certains managers et directeurs ne l'entendent pas de cette oreille... Ça me fait penser à une petite histoire que l'on m'a racontée... Il s'agit d'un professionnel qui a explosé les ventes d'un produit de sa société. Pour le remercier, le directeur lui a offert un nounours avec le logo de l'entreprise. Voilà.

Ah j'ai une autre histoire ubuesque pour vous. Un manager discutait avec le CEO. Les chiffres étaient bons, le manager lui proposa d'augmenter les salaires des collaborateurs. La réponse du CEO : "ça ne sert strictement à rien d'augmenter les salaires des gens, deux mois après ils auront oublié...". Ce qui est formidable, c'est que ce chef n'a aucun remords pour organiser des séminaires à 1000€ la journée par personne. Ben oui le team building, les conférences à n'en plus finir et le dîner avec tous les collègues de travail - même les pervers narcissiques - c'est beaucoup plus marquant qu'une augmentation de salaire...

Merci patron !


Sympa le cadeau ! Il me suit partout où je vais !

Avec ce genre de mentalité, on ira où ? Pas très loin. Et surtout droit dans le mur.

J'entends des voix proclamer haut et fort "la génération Z, Y, Alpha, Oméga..." ne se soucie pas de la rémunération. Elle montre un profond désintérêt pour l'argent. Ce qui compte pour eux :
  • Avoir des horaires flexibles
  • Communiquer de façon claire avec le boss
  • Prendre en compte leurs avis et opinions
  • Mener des projets variés en toute autonomie
  • Passer des moments funs avec les collègues
C'est vrai et faux.

C'est vrai. Les jeunes recherchent de l'autonomie, des bonnes conditions de travail, de la communication claire et transparente et des missions stimulantes. Mais c'est faux ! TOUTES les générations recherchent ça ! Par rapport à l'argent, les jeunes fonctionnent comme leurs aînés. Fruit d'une éducation et d'une société capitaliste. Ils ont tout autant envie d'avoir de l'argent pour réaliser leurs projets de vie.

La seule différence entre les aînés et les jeunes d'aujourd'hui : ces derniers n'attendent pas 1000 ans pour obtenir ce qu'ils veulent. Ils ne vont pas faire de concessions si les promesses salariales et autres ne sont pas tenues.




Réalité (non)bienveillante n°3

L'argent, c'est pour les grandes personnes !




L'avez-vous remarqué ? Cette façon d'utiliser l'argent comme un moyen pour infantiliser les salariés. Cela donne des discussions drôlement (non)bienveillantes en entreprise. Surtout en période d'évaluation de fin d'année.

Voici Monsieur Protecteur qui s'inquiète un peu pour vous et se demande si vous avez pris la bonne décision.

Manager : "Mais tu as déjà beaucoup de choses : un bon job, des responsabilités, un projet super intéressant, des voyages aux Etats-Unis tout frais payés, des séminaires gratuits à l'étranger. Pourquoi veux-tu encore une augmentation de salaire ? Tu n'aurais pas les yeux plus grands que le ventre ? Il est trop tôt. C'est mieux pour toi d'attendre la fin du projet. Crois moi."

Ou sinon vous avez Madame Attentionnée qui pense beaucoup beaucoup BEAUCOUP au bien-être des autres salariés. Pas au vôtre.

Responsable RH : "J'entends bien votre demande mais l'avez-vous bien étudiée ? Vous accorder cette rémunération pourrait créer des tensions au sein de l'équipe voire plus largement de l'entreprise. Notre volonté est de limiter les inégalités salariales. Je vous rappelle nos principales valeurs : équité, humanité, sens de l'équipe, bienvei..."

Le meilleur pour la fin : Monsieur Prévenant qui fait clairement du chantage sans passer par 4 chemins.

PDG d'une PME : "On en a déjà parlé il y a 2 mois. Pas d'augmentation de salaire pour toi. Si tu continues, je vais finir par reprendre ta voiture de fonction. Sois contente de ce que tu as ! Beaucoup de gens aimeraient être à ta place !"


Prendre un enfant par la main. C'est bien. Mais les salariés ne sont pas des enfants...



Le paternalisme en milieu professionnel, c'est moche. Rien de bienveillant. Votre voix compte autant que celle du PDG ou du collègue qui est resté 20 ans dans la boîte. "Sois contente de ce que tu as", "C'est mieux pour toi", "L'avez-vous bien étudiée par rapport au marché ?"... Comme si votre demande était d'emblée ridicule, déraisonnable, impertinente. Comme si vos interlocuteurs savaient mieux ce qui est bon pour vous.
Mais si la réponse est toujours : vous devez vous aligner sur les rémunérations du marché ou de vos collègues de travail mais que ces dernières sont très faibles, on fait comment ? On continue ce cercle vicieux ? Bienveillance, vous avez dit...




Réalité (non)bienveillante n°4

Argent, argent... Chiant de toujours en dépenser !




Et oui l'argent a un coût. Lâcher un salaire fixe de 2500€ nets pour un(e) Chargé(e) de Marketing avec 2 années d'expérience, c'est dur hein. Je vois déjà vos grimaces ! Vous menez des réflexions interminables avec vous-même. Vous vous posez 10000 questions : 


"C'est pas un peu trop par rapport au marché ?" 
"Est-ce que la personne sera performante ?"
"Suis-je certain(e) d'avoir un retour sur investissement ?"


Vous torturez-vous autant l'esprit lorsqu'il s'agit d'acheter un iPhone ?


Si je vous pose la question c'est parce l'iPhone coûte plus cher que les autres téléphones du marché. Vous ne serez jamais fixé(e) sur ses performances tant que vous ne l'avez pas acheté. Vous aurez un retour sur investissement s'il n'y a pas de bug durant les 6, 12, 24 mois. Seul moyen de savoir ? Tester le produit. C'est la même chose avec le/la chargé(e) de Marketing junior. Et tout autre profil.

Pourquoi dans un cas considérer cette somme comme un coût et dans l'autre, comme un investissement ?

Finalement, peu importe combien vous rémunèrerez, vous serez toujours frustré(e) à l'idée de mettre autant d'argent dans un recrutement. Et tant qu'il sera considéré comme un coût ou une contrainte, votre salarié sera démotivé et ne sera pas au top de sa performance.
En matière d'argent, de nombreux professionnels en entreprise ont un mauvais état d'esprit. Ce qui engendre des situations grotesques que vous avez tous vécues ou vues une fois dans votre vie.

  • "Je veux le meilleur des Business Developer. Par contre, je ne peux pas le payer cher. C'est impossible pour moi !"

OK. Dans ces cas-là, impossible d'avoir le meilleur ! Il faut choisir...

  • "Je recherche des profils expérimentés, 5 années d'expérience en milieu pharmaceutique, bilingue bien sûr. J'en ai trouvé deux intéressants ! J'espère qu'ils seront au prix des juniors..."

Ah oui, un MAC au prix d'un Acer... Chapeau si vous trouvez ! 

  • "En tant que RH, mon objectif est de maîtriser les coûts et de réduire la masse salariale. Quel intérêt aurais-je à augmenter les salaires des collaborateurs ?"
Pourtant vous parliez d'humain dans votre dernier communiqué de presse...


Très dommage de considérer des salaires comme des poids lourds que l'on traîne avec soi...
OK c'est coûteux de rémunérer un junior à 40K€ (et encore tout dépend du secteur d'activité) mais cela permettra de :

  1. Donner de la confiance et de la considération envers un professionnel
  2. Rémunérer au potentiel (apprentissage, créativité, prise d'initiatives etc.) du candidat/salarié et non à ses expériences passées
  3. Motiver les individus
  4. Gagner en attractivité sur le marché de l'emploi
Je ne vous dis pas les répercussions positives sur votre Marque Employeur ! Et sur le circuit économique. Vous pourrez casser ce cercle vicieux des salaires que l'on tire vers le bas...

Pas besoin d'opérations Marque Employeur gigantesques et farfelues : serious games dans des châteaux, entretiens de recrutement en short et tongs... En réalité, augmenter les salaires est la première action à mettre en place dans une stratégie de Marque Employeur. 

Efficace. Simple. Basique.

« Les dauphins sont des violeurs, ouais, méfie-toi des apparences. Basique. »   Orelsan - Basique (2017)




Conclusion



Faire silence sur la rémunération n'est pas un acte bienveillant. Aucune entreprise ne pourra se prétendre être bienveillante si le salaire n'est pas discuté de manière libre et transparente entre recruteurs et candidats, managers et managés, employeurs et salariés. Et si nous instaurions des temps uniquement dédiés à la rémunération lors des entretiens de recrutement et d'évaluation ? Et lors des réunions collectives avec le Management ? Une lectrice m'a glissé cette sympathique idée... Qu'en dites-vous ?

C'est bien beau de parler d'autonomie, d'équilibre vie privée et vie professionnelle, de formation, de team building, de sieste au travail et j'en passe... Mais l'argent c'est le nerf de la guerre. Il est à la fois la source et la solution à nos maux professionnels. 
Il n'achète pas le bonheur, ni le bien-être. Mieux : il achète un pouvoir ! Le pouvoir de négociation et de décision pour les salariés. Ces derniers pourront mieux prendre des décisions en connaissance de cause ("ai-je envie de travailler pour 1700€ nets ?" "serai-je davantage motivé(e) avec un fixe faible et un variable élevé ?").
Les salariés et candidats ne subiraient plus ces décisions unilatérales des employeurs et RH. Le pouvoir en entreprise serait davantage équilibré.

Et c'est ça, la bienveillance !

Oui le monde professionnel serait plus beau sans cette foutue hypocrisie...






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4 commentaires :

  1. Un article encore très complet et intéressant !! J'aime ton point de vue, bravo Mme la RH ;)

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    1. Merci pour ce commentaire ! Contente que ça vous plaise une nouvelle fois ! :)

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  2. Les attitudes émotionnelles favorisant un mode de leadership « absorbeur d’anxiété » sont des ressources importantes pour la bienveillance dans l'entreprise : le " toxic handler " est un des éléments de l'amélioration de la résilience au travail, mais pas le seul : voir quelques éléments en complément dans » Le développement de la résilience au travail » :http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=163&dossid=528

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    1. Bonjour Hugo.
      Pourriez-vous être plus explicite dans votre commentaire ? Quel est votre ressenti ? Je n'arrive pas à comprendre votre positionnement ou réflexion sur ce sujet.

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